"Youuuuuurop...Youuuuuurop...Youuuuuurop!", je me souviendrai longtemps de cette Ryder Cup organisée en France et de la ferveur des milliers de spectateurs hurlant "Europe" à l'unisson telle une tribune de stade de foot en délire après la victoire de son équipe. Après l'excitation et la joie de pouvoir se dire "j'y étais", le quotidien reprend. Avec l'organisation de la Startup Golf Cup de Bordeaux puis l'accompagnement d'entrepreneurs et de dirigeants avec ARMEN. Et ce besoin chez moi de chercher un sens dans les expériences. Pourquoi ? Quel sens et quels enseignements peut-on tirer de cette Ryder Cup ? Je vous propose huit réflexions pour les entreprises.
Bonheur et performance au travail
Il est assez clair que dans le sport, c'est la performance (victoire ou défaite) qui est créatrice de joie chez les sportifs et chez leurs fans. Ce fut le cas lors de cette Ryder Cup après la victoire européenne. A mon sens, une confusion est en train de se diffuser dans les entreprises. Cette confusion qui consiste à dire et à faire croire que le bonheur au travail est source de performance. C'est faux. Ce n'est pas parce qu'une personne est contente, "heureuse" ou joyeuse qu'elle va être performante. C'est l'inverse. C'est de la performance que naît la satisfaction et la fierté. Une plainte majeure dans les entreprises est qu'elles ne permettent pas ou plus aux personnes de faire leur métier correctement. Le premier rôle d'une entreprise est de permettre à ses collaborateurs d'être performants et de bien faire leur travail. C'est cela qui pourrait les rendre heureux. Il faut veiller à ce que l'organisation, les outils, les process, etc. soient en premier lieu au service de la performance des collaborateurs. Le sport et cette Ryder Cup illustrent donc parfaitement ce point. C'est la victoire, la performance individuelle et collective qui sont sources de joies et de bonheur. C'est le sens de cette vidéo inspirante visionnée par l'équipe européenne avant le début de la compétition.
Quelles sont nos motivations ?
Si vous n'êtes pas golfeur, cette vidéo n'a pas du avoir beaucoup d'effet sur vous. L'essentiel est de retenir qu'une entreprise est une communauté de personnes, une équipe, orientée vers un but commun, une mission, une étoile. L'entreprise est porteuse de sens (sensibilité, direction, signification) et c'est ce sens qui crée de l'engagement et de la motivation durablement.
“On ne devient pas champions du monde si on n'a pas d'étoiles dans les yeux” aime à répéter Cyr Dioré, rencontré il y a un peu plus d'un an lors de l'événement de The Bridge.
Douze, c'est le nombre d'étoiles sur le drapeau européen. Douze, c'est aussi le nombre de joueurs de l'équipe européenne qui ont brillé au golf national. Le symbole est beau. Le symbole est beau mais paradoxal et éphémère. Le golf est un sport individuel et la Ryder Cup l'un des seul événement pendant lequel une équipe européenne est alignée. Pourquoi ces sportifs qui excellent individuellement sont-ils motivés pour jouer sous cette bannière étoilée ? Sûrement pour l'argent. Eh bien non, les joueurs ne touchent rien de la part des organisateurs. Les joueurs jouent et se transcendent pour le prestige et ce que représente ce trophée historique, pour progresser et faire progresser leur partenaire, pour laisser une trace dans l'histoire du golf. Et pour les plus altruistes, ils jouent pour les fans de golf qui suivent l'événement, c'est le troisième plus gros événement mondial en terme d'audience télévisuelle. Parmi les 5 types de motivations en entreprise, on retrouve donc la volonté de progresser en tant que personne, en tant que professionnel, et de faire progresser les autres tout en offrant un peu de joie aux supporters. La passion, le don de soi et l'altruisme ont leur place en entreprise et répondent aux besoins et aux envies des hommes. Il faudrait tenter de ne pas l'oublier lorsque l'on passe la porte de notre bureau.
Notre capacité à travailler en équipe
“Leave your egos at the door” - Phrase inscrite dans le vestiaire de l'équipe américaine, en vain.
Source : In Ryder Cup, Europe Leaves Egos at Door. Those of U.S. Slam the Door.
Jouer pour le collectif dans l'un des sports les plus individuels qui soient. Se mettre au service de la performance collective. Voila le tour de force qu'ont réussi les joueurs sélectionnés par Thomas Bjørn, le capitaine de l'équipe européenne. Ses choix, cette victoire européenne mais aussi la défaite américaine illustrent que les équipes gagnantes ont besoin de leaders et de personnalités, pas de compétences, des meilleurs talents ou d'experts. Je crois qu'il en va de même en entreprise, le rôle des managers et des dirigeants est de sélectionner des collaborateurs qui, premièrement, sont motivés par le projet de l'entreprise et, deuxièmement, ont la capacité de travailler en équipe, au service des autres et des clients.
Le principe de subsidiarité
Le golf et cette Ryder Cup, en équipe, illustrent parfaitement le principe de subsidiarité. Ce principe qui veut que c'est celui qui a la responsabilité de planter un clou qui manie le marteau. Ici, celui qui a la responsabilité de mettre la balle dans le trou qui manie le club. Dans le sport, les entraineurs, capitaines et autres sélectionneurs assument les choix de leur joueurs mais ne jouent pas à leur place. Ils sont là pour les aider, les accompagner, construire un environnement propice à la performance et à la victoire. C'est le joueur qui joue et qui fait ses choix, qui prend ses décisions. Deux choix s'offrent aux dirigeants et aux managers. Le mode "Commande & Control" ou l'application du principe de subsidiarité qui repose sur la liberté de chaque personne de prendre les décisions qui lui semblent bonnes pour l'entreprise. Le tout en respectant les règles et le "terrain de jeu" définis (ou non) par l'organisation.
Notre rapport aux règles
A mon sens, la beauté et une partie de la complexité du golf viennent des règles de ce sport. Jouer au golf c'est accepter ses règles et la fameuse "étiquette". C'est ce langage commun à chaque golfeur autour du monde comme le rappelle la version 2019 des règles de golf.
Jouer au golf, c'est également faire preuve d'intégrité car chaque joueur amateur est son propre arbitre comme le faisait remarquer Patrice Clerc dans cet échange. Je milite pour que chaque entreprise définissent ses propres règles, sous forme de valeurs, qui constituent un pilier de la culture d'entreprise. Ces valeurs doivent évidement être partagées par chaque collaborateur qui, lorsqu'il rejoint l'entreprise, serait comme un débutant qui commence un sport, devant en accepter les règles. Ces valeurs doivent également être incarnées par l'exemplarité des dirigeants pour apparaître comme crédibles par les collaborateurs. L'exigence des règles et des comportements attendus est souvent source de progrès pour chacun.
En France, la norme est plutôt au "management pour les 3%", expression issue du livre d'Isaac Getz, Liberté & Cie, expliquant que les entreprises en sont venus à édicter des règles de plus en plus abjectes pour répondre aux 3% de personnes qui ne les respectent pas. En conséquence de quoi les entreprises sont maintenant des garderies où chaque injonction est remise en question d'une façon plus ou moins systématique, et contournée pour le plaisir.
Ce sentiment d'être face à des enfants, je l'ai eu plusieurs fois au cours de cette Ryder Cup que je vivais comme volontaire. Un certain nombre de personnes, probablement 3%, souvent des français (étonnamment), ont aimé remettre systématiquement en cause les demandes des bénévoles qui tentaient tant bien que mal de faire respecter les règles. Allant jusqu'à débattre pendant plusieurs minutes, voir insulter ou en venir aux mains. Là où le supporter américain s'excusait platement et poursuivait son chemin, le français le prenait pour lui, comme s'il avait tord et qu'il vivait cette règle comme une attaque personnelle. Je trouve bon de rappeler que les règles sont là pour assurer une certaine forme de vivre ensemble. Elles sont "bêtes et méchantes" et complétement arbitraires dans un événement de la taille de la Ryder Cup. Dans les entreprises, les règles devraient être des valeurs partagées par tous qui sont des guides de décisions opérationnelles assurant une cohérence et une homogénéité des décisions. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises valeurs, les valeurs érigées en règles d'entreprise sont simplement des choix qui doivent être partagés et assumés par tous. Les valeurs définissent le terrain de jeu dans lequel le collaborateur peut jouer. S'il joue, un collaborateur doit accepter les règles, pour son bien et le bien de l'entreprise. Comme le spectateur qui vient à un événement, la personne qui joue au golf, ou le citoyen qui vit en société.
Le golf, un sport "vertueux"
Mon intérêt pour le leadership et l'engagement des personnes vient d'Alexandre Havard et du modèle de leadership qu'il a formalisé : le leadership vertueux. Son approche consiste à dire que chaque personne peut devenir leader s'il décide de travailler sur son caractère par la pratique quotidienne des vertus. Je trouve que le golf, et les comportements observés pendant la Ryder Cup, illustrent parfaitement bien le fait que ce sport peut être un outil efficace pour travailler sur soi. La vertu de prudence lorsqu'il faut prendre la bonne décision sur le coup à jouer ou sur les choix d'équipe des capitaines, et avoir le courage de reconnaître que l'on s'est trompé. Le courage également pour faire preuve d'audace et d’endurance. La maîtrise de soi ou la tempérance pour savoir gérer ses passions pendant tout un tournoi et coup après coup. Et enfin la justice, pour donner à chacun ce qui lui est dû, dans la défaite comme dans la victoire. Il y aurait deux vertus spécifiques au leader selon Alexandre Havard : l'humilité, savoir reconnaitre et accepter nos talents et nos limites. Et puis la magnanimité, cette capacité d'avoir des rêves et de les transformer en actions, pour grandir et faire grandir les autres. Le sport, l'art, la science,...les leaders nous inspirent et peuvent nous permettre de le devenir à notre tour, sur la mission sur laquelle nous travaillons et avec les personnes que nous pouvons faire grandir.
Notre rapport au risque ou la glorieuse incertitude du sport
Ce qui selon moi rend cette victoire européenne si belle, c'est que c'était loin d'être gagné d'avance. Et pourtant, le capitaine et les joueurs européens ont accepté de relever le défi, le défi de battre cette "dream team" américaine. C'est ce que l'on appelle "l'incertitude du sport", c'est cela qui rend le sport beau et attrayant. Quand l'incertitude du résultat est élevée, quand la victoire se joue sur des détails, alors on est d'autant plus fiers de pouvoir se dire "on l'a fait", "on a réussi", nous avons comblé les attentes et la confiance que certains ont mis en nous. Dans les entreprises, ce sujet est celui du rapport au risque, de la gestion par les managers du droit à l'erreur, ou plutôt du "droit à l'essai". Avoir des objectifs élevés, viser haut, c'est ce qui motive l'homme et lui permet d'être créatif et d'innover pour réussir. Plus l'issue d'un projet est incertaine, plus sa réussite sera source de joie, et son échec source de progrès. Laissons nous la possibilité de tenter, d'essayer, de jouer. Perdre est douloureux mais c'est ce qui permet d'apprendre pour mieux gagner les fois suivantes.
Équilibre et sacrifices
Pascal Grizot ©Reuters
Quelques jours après la victoire européenne, je souhaitais voir quelques vidéos de l'événement. Je tombe alors sur Pascal Grizot sur Canal + fondant en larme en expliquant qu'il avait beaucoup fait souffrir sa famille à cause de l'organisation de cet événement. Ma première réaction est de lui dire merci pour l'opportunité qu'il nous a donné de vivre cette Ryder Cup en France. Ma seconde réaction est de réaliser à quel point il semble difficile de trouver un équilibre au travail, pour soi et surtout pour ses proches. Je crois qu'il n'y a pas de secret, chaque réussite est le fruit d'un travail difficile et de sacrifices. Ce que j'ai trouvé beau chez Pascal Grizot, c'est qu'il incarnait et montrait que la reconnaissance a un prix et qu'il en avait (pris) conscience. En entreprise, je crois que le manager doit avoir cette capacité à être reconnaissant pour le travail et les sacrifices fournis et faire en sorte qu'ils soient temporaires et non pas structurels dans l'organisation. Pour le collaborateur, chacun a des envies, des capacités et des limites différentes mais je crois que l'entourage doit être d'accord, accepter la situation et veiller à ce qu'elle soit temporaire. Afin d'éviter des conséquences lourdes, je crois que chacun (collaborateur, manager ou proche) doit avoir conscience de l'intensité de l'engagement demandé ou attendu et de son étalement dans le temps. En réalité, il peut être difficile de mesurer l'effort à consentir avant de se lancer, la bonne attitude consiste peut être à se lancer et à ajuster du mieux possible... On dit souvent que l'entrepreneur est cette personne qui saute d'une falaise et construit son parachute en route. On en revient à la notion de rapport au risque et à la volonté de chacun.
Le propre d'un événement sportif c'est qu'il est éphémère et intense alors qu'une entreprise se construit sur le long terme, au quotidien. La finalité de cet article était de suggérer quelques points inspirants de cette Ryder Cup afin de les transposer dans vos organisations et vos habitudes. Au golf et dans le sport, la mission du sportif professionnel est de gagner. La victoire est alors l'aboutissement d'un chemin individuel et collectif. En entreprise, je crois que la performance n'est pas ou plus la première des finalités. Les débats récents à propos de la loi Pacte sur les "entreprises à mission" suggèrent que l'objet (social) des entreprises peut être la réalisation d'une mission. Cette mission qui serait l'aboutissement du chemin des différentes parties-prenantes de l'entreprise. L'enjeu étant donc de réussir à vivre, à travailler et à performer ensemble pour réaliser cette mission, ces étoiles communes. C'est beaucoup moins binaire qu'une victoire ou qu'une défaite mais c'est surement aussi beau, et le sentiment de fierté de se dire, "j'y étais" ou "j'y ai contribué" doit être le même.
Je crois que ma mission est d'aider et d'accompagner ceux qui veulent entreprendre. Je le fais à travers la Startup Golf Cup qui sont des rencontres autour du golf pour les acteurs des écosystèmes startup à Lyon, Bordeaux, Nantes et Lille. Je le fais également à travers le Club ARMEN dont l'objectif est d'accompagner les entrepreneurs et les dirigeants afin que leurs entreprises soient des communautés humaines, engagées et performantes durablement.